On parle communément de "travail de bénédictin"pour désigner une oeuvre de recherche historique minutieuse, interminable, difficile, et comme réservée à des savants vieux, aux sourcils froncés, à la parole rare et sentencieuse, n'entendant plaisanterie sur aucun sujet. Si l'on ouvre quelque encyclopédie au mot "bénédictins", les noms intimidants de dom Mabillon, de dom Luc d'Achery, de dom Martène, de dom Ursin Durand se présentent immédiatement aux regards: et le lecteur se voit proposer, comme dans une gare de rêve, les noms lointains du De re diplomatica, des Acta Sanctorum, du Museum italicum, du Thesaurus novas anecdotorum, de l'Art de vérifier les dates, comme autant de directions de voyages vers lesquels le lecteur n'ose guère s'aventurer s'il n'est pas doué pour les langues ... Au siècle des Lumières, les bénédictins français, ceux de la "Congrégration de Saint-Maur", se donnèrent pour mission d'exercer, sur l'histoire sacrée comme suer l'histoire profane, les rigueurs de la critique. Ils donnèrent ainsi aux savants des livres incomparables mais ardus. Le grand public lettré ne fut cependant pas oublié. C'est à lui que furent destinées les grandes histoires régionales, celle de la Bretagne par dom Lobineau et dom Morice, celle du Languedoc par dom Devic et dom Vaissète, celle de la Bourgogne par dom Plancher, celle de Paris et de Saint-Denis par dom Félibien etc ...
Et la Lorraine ? La Lorraine eut son historien en la personne du grand dom Augustin Calmet, illustration majeure de la "congrégation de saint Vanne et de saint Hydulphe", le groupement bénédictin de la Lorraine encore indépendante.
Dom Calmet naquit à Ménil-la-Horgne le 26 février 1672. Son père exerçait à Vignot, près de Commercy, le métier de maréchal-ferrant. Aussi est-ce au prieuré bénédictin du Breuil, à Commercy, que le jeune Calmet fit ses premières études. Il les poursuivit à l'université de Pont-à-Mousson, fit profession bénédictine à l'abbaye de Saint-Mansuy de Toul en 1689. Pendant quarante années dom Calmet connut une vie d'activité intellectuelle prodigieuse qui le mena, au sein de sa Congrégation, d'abbayes en prieurés, dévorant les bibliothèques, organisant des équipes de recherche, écrivant, corrigeant inlassablement. Il vécut successivement à Munster, à Moyennemoûtier, à Paris, au couvent des Blancs-Manteaux, à Saint-Mihiel où il termina les 26 volumes de son Commentaire sur l'Ancien et le Nouveau Testament, au prieuré de Lay-Saint-Christophe, à l'abbaye Saint-Léopold de Nancy. C'est là qu'il publia la première édition de sa monumentale Histoire ecclésiastique et civile de Lorraine, ouvrage qui lui avait été commandé par le duc Léopold. L'année suivante, dom Calmet fut élu abbé de Senones. C'est dans la grande abbaye vosgienne qu'il travailla et vécut la dernière partie de son existence. Il y mourut le 25 Octobre 1757.
Dom Calmet a laissé une oeuvre immense. L'ouvrage le plus connu est son Histoire de Lorraine dont la deuxième édition fut écrite à Senones. C'est aussi à Senones qu'il rédigea une oeuvre à présent oubliée, une Histoire universelle en 17 volumes, à laquelle Voltaire s'amusa à collaborer quelques jours en 1753.
En même temps que son Histoire de Lorraine, dom Calmet produisit une précieuse oeuvre populaire en forme de dictionnaire: la fameuse Notice de la Lorraine, le plus ancien dictionnaire historique de notre région. Le premier volume in-folio parut à Nancy en 1757, année de la mort de l'auteur. Le deuxième volume, édité à la diligence de son neveu dom Fangé, parut en 1762.
L'histoire a été, au XVIIIème siècle, illustrée en Lorraine par plusieurs grands auteurs: le capucin Benoit Picart, historien de Toul en 1707; le bénédictin dom Humbert Belhomme, historien de Moyenmoûtier en 1724; le prémontré CH.L Hugo, historien de son ordre en 1734; les bénédictins dom Joseph de l'Isle, historien de Saint-Mihiel en 1757; dom Jean François et dom Nicolas Tabouillot, historiens de Metz en 1769-1790. Dom Augustin Calmet, leur ami et collègue, les domine tous d'une tête. (préface d'Hubert Collin, conservateur général du Patrimoine).
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