M. Alphonse Daudet n'a pas besoin d'être présenté ; il est connu , on ne peut pas dire qu'il soit célèbre, et il faut toute l'exagération d'une affection fraternelle pour dire qu'il est entré dans la gloire. Né dans notre Midi, il s'est fixé jeune à Paris. Pour lui comme pour beaucoup, l'enfance et la jeunesse ont été difficiles. Sorti d'une famille d'honnêtes et aisés négociants, il a vu son père, fabricant de foulards à Nîmes, ruiné par la révolution de 48, et son foyer dispersé après les efforts désespérés de sa famille, à Lyon, pour reconquérir la fortune. Daudet avait deux frères : l'aîné, Henri, s'était voué au sacerdoce et mourut jeune. Ernest, le deuxième, partit pour Paris lors de la débâcle et s'est fait depuis un nom honorable dans les lettres. Alphonse, avant de le rejoindre, devait connaître les tristes humiliations d'un maître d'étude dans un collège de petite ville. Enfin, il s'échappa, et partit pauvre, timide, mais l'âme gonflée d'espérance pour la grande cité. Là, après quelques années d'angoisses et de privations, il a fait sa place de haute lutte parmi les romanciers contemporains, grâce à un talent original dont j'indique immédiatement le principal caractère.
Daudet, parti les yeux pleins du grand soleil de sa patrie, est resté méridional à Paris, tout en devenant très parisien. Et quand nous parlons du Midi nous avons moins en vue le Languedoc que cet esprit littéraire qui puise ses traditions et sa pensée directrice dans l'ancienne poésie provençale dont Daudet s'est imprégné dès ses premières années par une sorte d'affinité élective. Il a les qualités de la vieille race des troubadours : la facilité, la verve, l'éclat, le don de l'analyse subtile des sentiments et des passions.
ARTHUR LAVONDÈS