Dès le Moyen Âge, il a existé une route reliant la France au Bas-Languedoc. Celle-ci, partie d'Orléans, traversait Bourges, Dun-le-Roi (aujourd'hui Dun-sur-Auron), Villefranche (d'Allier), Gannat, Riom, Montferrand (alors indépendant de Clermont), Issoire, Brioude, Le Puy (en-Velay), Pradelles, Villefort et Alès où elle se scindait en deux branches, l'une qui rejoignait Montpellier, l'autre Nîmes et, au-delà, une ville portuaire qui connaissait un trafic intense, Saint-Gilles du Gard. La France, telle qu'on l'entend au Xlle siècle, représente le domaine royal constitué depuis le Xe siècle par les rois capétiens. Vers le sud, ses limites englobaient le Gâtinais et débordaient égèrement sur le nord de la Sologne. Pour l'auteur des Narbonnais, un poème du XIIIe siècle, la limite sud de la France, c'est la Loire. Ainsi, lorsque les fils du comte Aimeri de Narbonne se rendent auprès du roi, ils traversent successivement le pays de Regordane, l'Auvergne et le Berry et, un soir, ils arrivent devant Orléans. Là, ils passent le pont ; alors ils entrent en France affirme l'auteur du poème (vers 1856 et 1857) : « A Orliens vindrent, si passerent le pont, Lors entreront en France »
Comme nous, les routes peuvent porter plusieurs noms sans perdre leur identité. Nous répondons à l'appel de notre prénom, à celui de notre nom patronyme, au surnom que nous ont donné des amis, à papa ou maman, etc. Pourtant tous ce noms désignent la même personne. De la même façon, l'ancienne route de France au Bas-Languedoc possède la particularité d'être désignée ici ou là sous un grand nombre de noms différents, chaque nom correspondant soit à son statut (« route royale », « chemin français », « chemin de la Dame »...), soit à son état (« grand chemin », « estrade vieille », « chemin ferrat »), soit à sa destination (« chemin de Bourges », « route du Puy », « route de Nîmes », « chemin de saint Gilles »...) soit encore à la région traversée (« chemin de Regordane »). Son nom de « chemin français » lui vient des habitants de la France d'alors, qui l'empruntaient. D'autres routes, dans notre pays et ailleurs, portent le même nom pour le même motif. La route de France au Bas-Languedoc ne prend le nom de chemin de Regordane qu'entre Pradelles et Alès lorsque, comme nous le verrons, elle traverse le pays homonyme. C'est lui qui lui donne son nom. En dehors de ces limites, la route ne garde pas le nom de chemin de Regordane même si quelques auteurs n'ont pas hésité à l'accorder à des tronçons routiers situés beaucoup plus au nord (par exemple du côté de Vichy ou de Montferrand) ou à l'ouest (près de Saint-Flour). L'enthousiasme de quelques-uns les a même conduits à étendre le nom de Regordane à la totalité du chemin français. Il faut raison garder. Le chemin de Regordane semblait perdu d'oubli. Pourtant Marius Balmelle en 1940 (La voie Régordane, chemin antique), Adrien Blanchet en 1941 (Hypothèse à propos de la voie Régordane), Jean Salles en 1954 (La voie Régordane dans la traversée des Hautes Cévennes), Clovis Brunei en 1958 (Le nom de la voie Régordane), Robert-Henri Bautier en 1960 (Recherche sur les routes de l'Europe médiévale. .1 - De Paris et des foires de Champagne à la Méditerranée par le Massif Central) et quelques autres - car on ne peut pas les nommer tous -, ont commencé à s'intéresser à cet ancien chemin.
Mais, bien avant eux, ce sont les littéraires qui, dans la voie ouverte par Joseph Bédier dans Les Légendes épiques, au début du XXe siècle, ont attiré l'attention sur cette ancienne route et sur son nom que l'on disait mystérieux.
Marcel Girault