On a oublié ce que Louis XIV a fait pour la France. Mais on se souvient de ses amours. On s'en souvient même un peu trop. L'imagination populaire ne connaît de lui que ses galanteries et ses maîtresses. Elle se le représente invinciblement dans les bras d'une La Vallière ou d'une Montespan.
Lui-même, il faut bien l'avouer, a quelque peu contribué à se faire cette réputation. Saint-Simon, après nous avoir raconté tout ce qu'il a vu, ou cru voir, du règne de Louis XIV, écrit cette phrase, en manière de conclusion : « Né simple particulier, il aurait eu également le talent des fêtes, des plaisirs, de la galanterie, et de faire les plus grands désordres d'amour. » Si le Roi avait pu lire ces lignes il est fort probable qu'il ne les eût point trop démenties. Certes il a été bien loin de « faire les plus grands désordres d'amour », comme k dit très exagérément Saint-Simon. Cet homme de gouvernement avait horreur de tous les désordres, même des désordres amoureux. Mais, par galanterie, parce que c'était toujours « le bel air » en ce temps-là, — il voulait qu'on l'en crût capable. Les contemporains de Mme de Rambouillet, tes habitués de la Chambre bleue, n'admettaient point qu'un homme fût sans amour. Pour les précieux et les précieuses. l'amour était une religion, — et cette religion mystico-littéraire durait encore, au temps de la jeunesse de Louis XIV. Enfin, en un sens plus gaillard, La nation exigeait qu'un roi fût amoureux, à l'exemple d'un François Ier, d'un Henri II, ou d'un Henri IV, — Henri IV surnommé le Vert-Galant et devenu si populaire, peut-être à cause de cette « verdeur » et de cette « galanterie ».
Assurément, Louis XIV n'eut pas trop à se contraindre,
pour répondre, si l'on peut dire, à ce voeu national : il était fait pour éprouver et pour inspirer l'amour. La gloire elle-
même il l'aimait comme une maîtresse. II a écrit, dans ses Mémoires, ou il a dicté cette phrase extraordinaire et encore trop peu connue, — cette phrase qui est d'un grand écrivain français : « L'amour de la gloire a les mêmes délicatesses et, si j'ose dire, les mêmes timidités que les plus tendres passions. »