Si Montaigne dit vrai et si « la tourbe des menus maux offense plus que la violence d'un, pour grand qu'il soit », j'ai été rarement plus « offensé » que dans les six premiers mois de l'année 1914, période maussade où j'ai connu, en même temps que des inquiétudes croissantes sur l'avenir de l'Europe, tous les petits ennuis d'une magistrature inactive et cloîtrée. J'ai vu déchiré par les factions politiques un pays auquel la gravité des événements pouvait imposer, du jour au lendemain, le devoir de rétablir l'union nationale. J'ai eu sous les yeux le vilain spectacle d'intrigues parlementaires et. de scandales financiers. J'ai assisté au remaniement imprévu d'un cabinet, au départ spontané d'un autre, à la chute brutale d'un troisième. J'ai payé la rançon de mon irresponsabilité constitutionnelle en essuyant, à maintes reprises, les reproches contradictoires de partis opposés qui voulaient, les uns et les autres, mettre à leur service exclusif mon autorité nominale. Ce n'est pas sans un continuel effort de volonté que j'ai réussi à éloigner de moi la lassitude et le découragement, parfois même la répugnance et le dégoût. En ces journées d'incertitude et d'anxiété, je n'ai eu qu'un réconfort, l'image de la France, toujours présente à mon esprit.