M. Hervé Rougier, bien connu des lecteurs de la Revue du Tarn, a publié en 2010 à Nîmes chez l'éditeur Lacour-Ollé un charmant petit recueil poétique intitulé Paroles d'amour à la Lune et illustré en couverture d'une aquarelle due au talent d'Annick Lacroix.
Il ne s'agit pas de pièces rimées, mais de sortes de courts poèmes en prose, présentés comme des feuillets de journal: ils sont datés (sans millésime) du jour et du mois et commandés, à de rares exceptions près, par la présence de l'astre dans le ciel.
Le recueil, mis à part un fragment introductif et général, court du 3 août au 27 novembre, et suit donc les phases de la Lune en s'adressant à elle en ses différents moments ; la consultation d'un calendrier permet alors de penser qu'il s'agit de l'année 2007, mais cela n'a de fait aucune importance, le propos de célébration étant intemporel. Pourtant, ce sont aussi des impressions in situ, à la fenêtre d'où Hervé Rougier contemple son splendide jardin, et de ce point de vue elles ont la grâce de la captation de l'instant privilégié, fixé dans la délicatesse du fragment.
On ne s'étonne pas que les deux épigraphes du recueil soient empruntées, l'une au poète japonais Bashô, célèbre auteur de Haï kaï, et l'autre à un poète persan. D'autres seront cités au coeur même des fragments.
Ainsi la tradition orientale se transporte-t-elle à Albi, et autour de sa cathédrale, ce qui permet au poète de renouveler en profondeur les topoï liés à ce type de poésie : sa lune est à la fois universelle et unique, intemporelle et bien inscrite dans la couleur, la saveur, la douceur de telle nuit précise et vécue. Les fragments sont tantôt narratifs et descriptifs, tantôt écrits sous la forme de la prosopopée, c'est-à-dire instaurant un dialogue entre le poète et cette créature a priori non douée de la parole qu'est l'astre nocturne : mais Hervé Rougier en fait sa Muse, sa compagne, sa confidente.
Tout un univers, qui est le sien, s'anime, peuplé de chats, de souris, de sauterelles, de fleurs, et il varie au gré des caprices atmosphériques, nuages, pluie, vent. Le dialogue est sur le mode de la familiarité : «Lune, petit nom de tendresse./Nous nous tutoyons » (p. 21). Se combinent une discrète vision cosmique (« Le monde a été créé en harmonie », p. 13) et un extrême souci du détail («Les roses du jardin aimeraient boire la rosée au clair de lune»). L'animation de tous ces êtres qui peuplent le jardin nocturne fait penser à des contes de fées. Les images chères au poète relèvent presque toutes de la personnification : « Ce soir, je suis de retour à Albi. Tu as le ventre bien rond dans un ciel d'automne très noir » (p. 23) ; «Te voici, belle Africaine au diadème d'or qui brille dans la nuit » (p. 30).
Ancré dans le réel, le poète ne néglige pas de jouer sur des expressions lexicalisées auxquelles il rend leur profondeur ou leur fraîcheur : «John Kennedy avait promis la lune à ses concitoyens. Le 21 juillet 1969, les astronautes Neil Armstrong et Edwin Aldrin ont réussi le premier alunissage » (p. 32): mais cela n'ôte rien à la poésie de l'astre, puisque deux pages plus loin nous revenons aux antiques invocations à sa bienfaisance de déesse pourvoyeuse de l'eau désirée : Lune, on dit que tu fais la pluie et le beau temps. Pour quelques heures mais pas de jour, donne-nous de bonnes averses qui remplissent aux fontaines cruches et carafes (p. 34). Dans les deux parties suivantes du recueil, la lune cède la place aux nuages, avec le même principe de composition, puis aux roses, célébrées dans une sorte d'ode, suite de vers libres dont certains sont rassemblés, suivant l'inspiration, en unités strophiques.
Hervé Rougier nous offre dans ce mince et précieux volume un moment de bonheur simple, vrai, celui que réserve la nature, quand on sait l'attendre et la contempler. Qu'il en soit remercié. Dominique Millet-Gérard, Revue du Tarn, printemps 2012, N°125